CDS: le monstrueux contraire d’une assurance

CDS: le monstrueux contraire d’une assurance

Par Paul Jorion, 16 septembre 2008

Ce texte est un « article presslib’» (*)

Samedi après-midi, les meilleurs spécialistes des Credit-Default Swaps travaillant pour Wall Street furent rappelés d’urgence au bureau. Devant le refus du gouvernement de contribuer au fonds de soutien de Lehman Brothers, ils furent extraits de force à leur environnement familial pour aller calculer combien il en co?ɬªterait d’honorer ces fameux CDS si Lehman devait faire défaut.

Rien de surprenant: dans mon billet du matin-même, Lehman Brothers: les proches sont à son chevet, j’écrivais:

Il n’y a plus que des infrastructures à se partager comme dépouilles et… l’écheveau à démêler des paris que tous ces braves gens ont pris sur la mauvaise santé financière les uns des autres sous la forme de Credit-Default Swaps.

Je rappelle en quelques mots qu’un Credit-Default Swap est un type d’assurance contractée à titre privé où le vendeur du swap joue le rôle d’assureur et l’acheteur, d’assuré. Le vendeur remboursera à l’acheteur les pertes que ce dernier viendrait à subir du fait de la défaillance d’un tiers. Pour bénéficier de ce service, l’acheteur du swap verse au vendeur une prime dont le montant est déterminé par le marché en fonction du risque de perte tel qu’il est alors perçu.

La somme totale des CDS contractés aux États-Unis se monte – cela dépend des sources – à 45 ou 62 mille milliards de dollars[1], de toute manière un chiffre proche du total des dépôts bancaires à l’échelle mondiale. L’instrument a été mis au point dans les années 1990 par J.P. Morgan, qui est aujourd’hui encore le principal acteur de ce marché, avec un chiffre de 7 mille milliards de dollars. Citigroup suit, avec 3,2 mille milliards et Bank of America avec 1,6 mille milliards de dollars. Les « hedge funds», les fonds d’investissement spéculatifs, représentent 31 % de ce marché, et les monolines, les rehausseurs de crédit, 8 %.

Bien qu’il présente l’aspect extérieur d’une assurance, il n’est pas nécessaire que l’acheteur du swap soit véritablement exposé au risque couvert. En fait, et le plus souvent, les CDS ne constituent que des paris « directionnels» à but spéculatif. Les établissements financiers ont recouru jusqu’à plus soif à de tels paris portant sur leur bonne santé respective: la somme du montant des contrats représente environ dix fois les pertes qui seraient effectivement subies – je veux dire en l’absence de tels paris. Les CDS ont donc démultiplié artificiellement par dix le risque réel qui préexistait à leur création, créant ainsi le monstrueux contraire d’une assurance.

L’été dernier, quand le crédit s’est tari, les établissements financiers se sont retrouvés englués dans la toile d’interdépendance que les Credit-Default Swaps avait créée entre eux. Cette interdépendance a contribué à fragiliser la partie du système financier qui avait été épargnée par la crise du subprime puisque la chute de l’un d’entre eux risque de se répercuter alors à l’ensemble des autres avec lesquels il est interconnecté, créant un risque systémique de type « dominos».

Le 2 avril, Ben Bernanke, le président de la Fed, déclarait dans une allocution devant le Congrès: « La faillite soudaine de Bear Stearns aurait débouché sur un débouclage chaotique de positions sur ces marchés. Elle aurait aussi jeté la suspicion sur les positions financières de certaines parmi les milliers de contreparties de Bear Stearns». La faillite de Bear Stearns aurait forcé au débouclage de l’ensemble des CDS dont elle faisait l’objet, c’est-à-dire à la réconciliation des positions de l’ensemble des établissements qui s’étaient engagés dans de tels contrats, l’insolvabilité de l’un des vendeurs pouvant alors se répercuter sur toute la longueur de la chaîne.

Il y a quelques jours, un commentateur sur un blog financier faisait observer à propos des CDS qu’il s’agit avec eux de « probabilités conditionnelles», la condition en question étant le fait que le marché soit encore opérationnel lorsque les défaillances se manifestent. « Comment imaginer», disait-il, « que Goldman Sachs étant en défaut de paiement, Lehman Brothers [toujours en vie à l’époque] puisse me verser les sommes qu’il me doit sur les CDS qu’il m’a vendus? Pas @#%& très probable!»

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard: 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain? (La Découverte: 2007).

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